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typique famille nucléaire coréenne. papa et maman mariés jeunes mais l'aîné est venu assez tardivement pour l'époque. vingt-sept ans, milieu des années 95...un garçon. papa faisant des plans stéréotypés sur la comète, s'imaginant déjà l'emmener voir des matchs de baseball et lui apprendre le foot. et maman soupirant mais espérant secrètement qu'il grandisse à l'image de son père — doux, gentil, généreux. cinq ans plus tard une fille, maman aux anges pendant que papa et dohee tirent la tête. ils finissent complètement fous face à elle, la surprotégeant d'un monde trop brute mais qu'elle affronte déjà les poings serrés. elle renverse les stéréotypes car c'est elle qui supplie papa de jouer au foot et l'emmener voir des matchs. papa et maman réalisent rapidement qu'ils devront ouvrir leur esprit pour élever cette famille qui s'agrandie quatre ans plus tard. petite dernière. papa annonce déjà à dohee du haut de ses dix ans qu'un jour il ne sera plus là — et qu'il faudra qu'il prenne la relève qu'il ne le soit plus à son tour.

les paroles du paternel résonnent encore dans son esprit alors qu'on vient s'incliner devant lui en présentant ses plus sincères condoléances. visage placide, menton relevé. il ne doit pas pleurer maintenant — plus tard dans sa chambre loin des regards remplis de p i t i é. le rôle du fils aîné dans les funérailles requiert des épaules solides et un mental d'acier. il devient le pilier sur lequel on se repose, absorbant la tristesse de toutes les personnes que le défunt a aimé, sans jamais flancher. les dernières semaines étaient déjà dures — l'homme autrefois plein de vie n'était plus que l'ombre de lui-même, trop faible pour parler, la respiration courte et haletante dont dohee se souvient encore aujourd'hui. la cacophonie des machines qu'il craignait voir s'éteindre liées au respirateur qui cachait la moitié du visage devenu rachitique de son père...il le voit encore lorsqu'il ferme ses yeux.

la lettre d'admission est presque froissée entre ses longs doigts tremblants. seattle. washington, usa. l'autre bout du monde. trop loin de maman et ses soeurs pour les surveiller, veiller sur elle, remplir le rôle qu'il a été forcé d'endosser. alors il décide de ne rien dire ;; prend la feuille qu'il cache maladroitement sous son matelas et continue sa vie comme si de rien était. peut-être était-il destiné à de grandes choses, autrefois. mais papa n'est plus là, alors il doit rester. et puis un soir en rentrant d'une soirée, il trouve maman sur son lit, la feuille maudite entre les mains, et il sait. "when were you gonna tell me ?" avale difficilement sa salive avant de regarder ses baskets délavées. "it doesn't matter, i can't leave anyway." "says who ?" la question reste sans réponse. personne d'autre que lui l'en empêche. au fond n'est-ce peut-être pas seulement une excuse ? "your father would've wanted you to go." et est-ce qu'elle dit ça pour le convaincre ? le pense-t-elle vraiment ? n'est-ce pas là qu'une tentative pour le prendre par les sentiments ? et avant qu'il ne le sache, il est à l'aéroport le corps compressé dans les étreintes de sa mère et ses soeurs. il se retourne une seule fois, un signe de la main. cheon airlines, vol KR839, direction washington.


il lui faut quelques mois pour s'accommoder à la vie américaine. les vidéos conférences avec sa famille, ses amis, se font de plus en plus rares et il met ça sur le compte des cours et du temps qui lui file entre les doigts. la vérité, c'est que dohee avait besoin de partir pour mieux se trouver. il y a une saveur édulcorée à la liberté de pouvoir être qui on veut dans un pays où personne ne vous connait. et dohee expérimente des choses qui n'auraient jamais foulées son esprit en corée. les frat house parties jusqu'au levé du jour. la weed. l ' a m o u r. blake parker, les yeux bleus et les cheveux de blé qui n'a jamais eu honte d'affirmer qui il est. la ville est en fête dans une pride improvisée car à présent, tout le monde a le droit de se marier...et là, dans la foule, il n'a pas peur de l'embrasser, lui tenir la main, danser à ses côtés. amour de courte durée — un an avant de retourner au pays, là où ses droits n'existent pas.

robyn est tout ce dont maman aurait rêvé pour son aîné. belle, talentueuse, de bonne famille. maman sait depuis des années — i like men lancé la gorge nouée et les mains moites. elle était passée par toutes les étapes du deuil avant d'en arriver à l'acceptation. dohee avait rapidement compris que malgré tout, les commentaires ne cesseraient jamais. qu'au fond d'elle, elle continuerait d'espérer. " you guys seem close. are you sure there's nothing ? surely she must at least have a crush on you " oh maman, si tu savais. et puis un soir, cinq appels manqués, une dizaine de messages, et robyn à l'atelier (les deux saccagés) ;; le corps frêle qui tremble sous des sanglots incontrôlés et la voix fluette qui cogne contre les murs. " it's all for nothing anyway ! i wish i was normal...we could've get married, my family would've left me alone and everyone would've been happy !" il la tient dans ses bras sans trop la serrer de peur de la briser, une main délicate caressant ses cheveux emmêlés. impuissant, négociant avec un dieu auquel il ne croit pas de prendre toute la douleur de la seol et la lui donner — il peut le supporter. et dans le silence perturbé par les sanglots qui semblent se calmer, dohee fronce les sourcils, lance sans vraiment réfléchir, sans vraiment y croire. "we still can...we still can get married." bouteille jetée à la mer. tout le monde sera heureux. la presse et les seol laisseront robyn tranquille, et ses épaules pourront enfin se libérer du poids qui la pèse tant. dohee sera là, tout le temps, pour la protéger d'un monde trop cruel qui ne la mérite pas. et tant pis s'il n'est pas le gendre idéal — il sera au moins le mari qu'elle n'aurait jamais pu avoir. l'anneau au doigt depuis deux ans, dohee n'a rencontré la famille de son épouse qu'à deux reprises, furtivement, ne s'est jamais senti à l'aise et remercie les cieux que robyn ne soit pas proche d'eux. colocation entre meilleurs amis, dohee se comporte néanmoins comme un vrai époux — goût amer de ce qu'aurait pu être sa vie.